Le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (HCSP) a analysé la politique française en matière de santé environnementale et appelle à une réforme. À travers un rapport général et un rapport thématique sur le bruit, il reconnait que le bruit est le parent pauvre des actions publiques, malgré ses effets délétères sur notre santé. Parmi ses recommandations, il propose de renforcer la communication publique sur l’environnement sonore et ses conséquences pour la santé, par exemple en définissant et en diffusant un indicateur de « qualité sonore ». Les initiatives de prévention citées dans le rapport du HCSP se fondent, au niveau national comme local, sur les ressources d’acteurs associatifs, au premier rang desquels le CidB - Centre d'information sur le bruit.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’exposition à des facteurs environnementaux dans les pays développés causerait autant de décès que le tabac. Longtemps marginalisée, la santé environnementale s’impose aujourd’hui comme un enjeu central, même vital. Ce vaste rapport en cinq volumes constitue, en France, l’étude de politiques publiques la plus complète et la plus à jour sur cette question de société. Originale et importante par sa méthode, d’abord : elle provient, pour la première fois, d’une demande de l’Assemblée nationale, via le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC), présidé par Yaël Braun-Pivet.
Le bruit, parent pauvre des politiques environnementales
Cette étude examine quatre facteurs environnementaux, qui diffèrent par leur nature, leur impact et les outils de politique publique afférents, dont le bruit, parent pauvre des actions publiques. Au-delà des recommandations particulières, nombreuses, contenues dans chaque rapport thématique, quelques enseignements clés peuvent être tirés, pour agir mieux.
Bien que certaines sources de bruit soient naturellement présentes dans l’environnement, l’essentiel émane des activités humaines : transports, industries, activités récréatives, etc., avec une imprégnation plus forte dans les milieux fortement urbanisés. La particularité du bruit est que sa perception par les humains dépend en partie de facteurs psychologiques et psychosociologiques, de caractéristiques sociales, culturelles ou individuelles.
Pourtant, le bruit affecte le sommeil, crée du stress et provoque des pathologies cardiovasculaires. L’ensemble de ces nuisances se cumulent pour produire des « effets cocktail » encore mal connus. Selon l’OMS, dans le monde, 23 % de la mortalité prématurée et 26 % de la mortalité infantile sont liés à des causes environnementales (c’est-à-dire non liées à des facteurs génétiques ou à des choix individuels). En France, les décès dus à l’environnement sont équivalents à ceux liés au tabac.
Le coût social du bruit s'élève à 147 milliards d'euros
Le bruit a d'ailleurs fait l’objet d’une évaluation d’un coût « social » à l’échelle de la France, avec un périmètre particulièrement large, par l’Ademe. Ce coût, qui s’élèverait à 147,1 milliards d’euros par an, est largement attribuable à des coûts non marchands (87 %), incluant la valorisation avec la VAC des DALYs estimés pour chaque pathologie liée au bruit et dans une moindre mesure à la mortalité prématurée valorisée à la VVS1 (2 800 décès par an, soit 9,8 milliards d’euros).
Par comparaison, les coûts de santé pour la société, liés à l’exposition aux PFAS dans l’espace économique européen et la Suisse ont été estimés au minimum entre 52 et 84 milliards d’euros par an.
Bruit environnemental : des connaissances inégales
Concernant le bruit environnemental, comme pour les polluants chimiques, les connaissances sont inégales selon les sources et les caractéristiques. Le bruit des transports terrestres ou aériens est ainsi particulièrement mesuré et cartographié, malgré des inégalités entre territoires, tout comme le bruit lié aux activités professionnelles est bien identifié et réglementé, quand d’autres émissions sonores sont moins suivies, par exemple les basses fréquences émanant des éoliennes.
L’étude de ces quatre facteurs environnementaux démontre aussi la nécessité d’une combinaison incontournable de principes d’action, notamment une répartition claire des compétences entre l’État et les collectivités, qui fait encore défaut en matière de bruit. À l'échelle européenne, le rapport termine sur une note positive : beaucoup des règles environnementales protectrices françaises, par exemple sur la réduction du bruit, proviennent de décisions de l’UE, dans lesquelles la France a joué un rôle central.
Des actions pour lesquelles le CidB est précurseur, notamment auprès des collectivités
À l'échelle européenne, le rapport termine sur une note positive : beaucoup des règles environnementales protectrices françaises, par exemple sur la réduction du bruit routier, proviennent de décisions de l’UE, dans lesquelles la France a joué un rôle central.
Le rapport met en évidence la qualité des initiatives locales d’actions de prévention et de maintien de zones calmes. Les collectivités peuvent mettre en œuvre des campagnes d’information locales pour sensibiliser la population : « Journées du bruit » (autour du 25 avril chaque année), brochures municipales rappelant les horaires de tonte et la tolérance, affichage dans les transports en commun sur la pollution sonore, etc. L’État a produit des guides pratiques (par exemple « Le maire et les bruits de voisinage », diffusé en préfecture) pour aider les élus locaux à gérer les conflits acoustiques. Le guide du Cerema « Du calme en ville : aménager en faveur du bien-être » donne également des outils aux décideurs et aux aménageurs pour préserver et promouvoir le calme en milieu urbain.
Le quatrième Plan national santé environnement (PNSE 4) inscrit également dans ses objectifs relatifs au bruit celui de l’amélioration de la « tranquillité sonore » des citoyens, notamment par des actions de labellisation afin d’encourager la préservation d’espaces publics préservé des bruits de sources diverses (transports, sons amplifiés, magasins, etc.), à l’instar du label Quiet.
Enfin, des concours encouragent les bonnes pratiques : les Décibels d’Or, prix annuels du CNB, récompensent des initiatives innovantes en faveur d’une amélioration de l’environnement sonore (isolation innovante, prototype de mur végétal antibruit, etc.).
Au niveau national comme local, ces initiatives se fondent sur les ressources d’acteurs associatifs, au premier rang desquels le Centre d’information sur le bruit. En partenariat avec des acteurs publics (Agences régionales de santé, collectivités) comme privés (entreprises exposées au bruit), le CidB organise à la demande des actions de prévention et de sensibilisation sur l’impact sur bruit sur la santé en milieu scolaire, professionnel et privé, ainsi que des modules de formation (notamment à destination des enseignants) pour développer la connaissance de la santé acoustique et des moyens de prévenir les risques associés.
Il en est de même en matière de prévention du bruit au travail. Au-delà de la réglementation, l’action des pouvoirs publics en matière de bruit en milieu professionnel passe par la mise en œuvre de politiques de prévention. La Direction générale du Travail (DGT) du ministère chargé du travail développe notamment des actions en faveur d’une politique de prévention concernant les élèves de lycée professionnel dans les filières affectées par le bruit (bois, chaudronnerie, BTP, etc.) avec le CidB. Ces actions déboucheront sur la création de réglettes « sourdirisques » pour chacune des filières. Une fois ces réglettes obtenues pour chaque spécialité, une diffusion de grande ampleur pourrait être envisagée dans l’ensemble des lycées et dans les SPST dans le cadre des démarches de prévention.
Une réforme d'ampleur nécessaire en matière de bruit
Voici l'ensemble des recommandations de l'HCSP en matière de lutte contre le bruit :
AXE 1 – Construire un véritable cadre des politiques publiques de lutte contre le bruit dans l’environnement
1 - Définir une politique nationale du bruit, avec des objectifs chiffrés et suivis de diminution de l’exposition ;
2 - Déployer des observatoires du bruit dans chaque région, en s’appuyant sur des structures de gouvernance, pour accompagner les collectivités dans la réalisation des cartes stratégiques de bruit (CBS) et la mise en œuvre locale des politiques de lutte contre le bruit ;
3 - Renforcer la coordination entre les plans de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) au niveau régional, y intégrer des obligations de résultat, des sanctions en cas de manquement, et mettre en place une procédure d’évaluation des plans à l’issue de chaque échéance de la directive ;
AXE 2 – Renforcer les instruments de politique publique existants, y compris les mesures coercitives
4 - Construire une cartographie à l’échelle nationale des points noirs du bruit (PNB) et établir un calendrier pour leur résorption dans les PPBE.
5 - Renforcer les instruments de politique publique dédiés au traitement des bâtiments existants situés en PNB, notamment le financement de l’isolation phonique des bâtiments concernés, l’accompagnement auprès des riverains et la surveillance du respect des valeurs réglementaires.
6 - Augmenter le taux de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA), de façon à se rapprocher de la couverture des coûts sociaux dans une logique pollueur-payeur, en tenant compte de la fiscalité globale du secteur.
7 - Conditionner les autorisations de nouvelles constructions dans les zones les plus bruyantes (PNB) à l’atteinte en amont d’objectifs de réduction du niveau sonore en extérieur.
8 - Déployer des radars sonores à grande échelle, dès qu’ils auront été homologués. Leur déploiement pourrait être rendu obligatoire dans l’ensemble des métropoles.
9 - Sanctionner les contrevenants par une amende de cinquième classe au-delà d’un certain seuil de dépassement de la limite sonore autorisée et/ou la nuit.
10 - Considérer la mise en place des mesures de restriction de circulation dans certaines zones pour certains véhicules à moteur thermique en soirée en milieu urbain.
AXE 3 – Adapter les normes de manière à mieux protéger la santé des populations
11 – Examiner le rapprochement des seuils réglementaires avec les seuils recommandés par l’OMS, en fixant un calendrier, après évaluation préalable des impacts d’un tel rapprochement.
12 - Harmoniser les indicateurs entre cartes stratégiques de bruit et classement sonore des voies pour assurer leur cohérence.
13 – Tendre vers des seuils réglementaires de bruit fondés sur des indicateurs événementiels (prise en compte des pics de bruit, de la répétitivité, etc.), et pas uniquement des indicateurs moyens.
14 – Concernant le transport aérien, préciser, dans le règlement européen, la définition d’un « problème de bruit », qui conditionne la réalisation d’une étude d’impact selon l’approche équilibrée.
AXE 4 – Renforcer les connaissances relatives aux conséquences sanitaires du bruit
15 – Renforcer la diffusion des connaissances sur l’état de l’environnement sonore et ses conséquences sur l’environnement et la santé, notamment les conséquences de la multi-exposition.
16 - Renforcer la communication publique sur l’environnement sonore et ses conséquences pour la santé, par exemple en définissant et en diffusant un indicateur de « qualité sonore », à l’image de l’indice de qualité de l’air.
17 - Alerter, par des actions d’information et de sensibilisation (en particulier auprès des jeunes), sur les différentes sources présentant un risque pour l’audition, notamment les pratiques d’écoute à un niveau sonore élevé.
Sur ce sujet, le Centre d'information sur le bruit (CidB) a anticipé et organisé une journée nationale sur le thème "Les jeunes et le bruit", qui aura lieu le 13 novembre 2025 à Paris. Tous les acteurs professionnels sont invités à y participer.
AXE 5 – Améliorer les évaluations d’impact ex ante, pour les projets visant à réduire les nuisances sonores comme pour ceux en générant
18 – En ce qui concerne spécifiquement les études d’impact « selon l’approche équilibrée » dans le domaine du trafic aérien, définir une méthodologie stabilisée conforme aux exigences de l’évaluation socioéconomique, prévoir la publicité des études complètes et donner à l’Acnusa la responsabilité et les moyens de les contre-expertiser.
19 - Réexaminer les valeurs monétaires tutélaires relatives au bruit des transports dans le guide de l’évaluation socioéconomique et le référentiel d’évaluation des projets de transport.
AXE 6 – Mieux connaître et mieux prévenir les risques en milieu professionnel
20 – Réintroduire l’obligation du suivi audiométrique des salariés exposés.
21 - Poursuivre et développer les travaux de recherche pour renforcer la connaissance sur le bruit en milieu professionnel.
22 - Examiner une possible mise à jour du tableau 42 des maladies professionnelles avec les partenaires sociaux.
Sources :
- HCSP - Rapport thématique Le bruit - octobre 2025 ;
- HCSP - Les politiques publiques de santé environnementale - Mieux connaître pour mieux agir - rapport octobre 2025.
- Journée nationale "Les jeunes et le bruit : tous mobilisés pour leur santé et leur environnement" - jeudi 13 novembre 2025 - Maison des Travaux Publics, Paris. Inscrivez-vous ici.
Le contenu de cet article est la propriété exclusive de son auteur et ne peut être reproduit, distribué, ou diffusé, en tout ou en partie, sous quelque forme que ce soit, sans son autorisation préalable et écrite.