À l’occasion de la 10ᵉ édition de la Semaine Santé Auditive au Travail, l’Association Nationale de l’Audition dévoile les résultats de la 9e vague du « Baromètre Bruit et Santé Auditive au Travail ». Ce baromètre 2025 révèle de grandes disparités, jusque-là trop souvent ignorées par une approche préventive éloignées des risques psychosociaux, car surtout focalisée sur les risques imminents de surdités.
Alors que la santé mentale est la grande cause nationale 2025, les incidences du bruit et des expositions sonores sont généralement absentes des analyses des déterminants. Pourtant plus d’un actif en poste de travail sur deux se dit gêné par le bruit et les expositions sonores. L’étude ici réalisée par catégories de salariés pointe des écarts jusqu’alors ignorés en raison d’une réglementation sonore encore globalement insuffisante et surtout encore trop uniforme. Des populations sont particulièrement vulnérabilisées : femmes, salariés à
revenus faibles, malentendants, salariés des administrations.
Soutenue par le groupe Lourmel et la Fondation Pour l’Audition, l’Association Nationale de l’Audition (ANA) appelle à une refonte urgente de l’approche du bruit au travail, pour mieux protéger les populations les plus vulnérables et réduire les inégalités en matière de prévention santé sécurité. « La plainte du bruit » - et son incidence santé - est désormais objectivée.
Plus d’un actif occupé sur deux est gêné par le bruit et les nuisances sonores sur son lieu de travail
En préambule, plus d’un actif occupé sur deux se déclare gêné par le bruit et les nuisances sonores sur le lieu de travail (56%, -6pts vs 2024). Cette gêne est plus marquée dans les environnements les plus sonores : 65% dans l’industrie, 64% dans les open spaces et 66% dans
les ateliers, chantiers ou chaînes de production.
Si ces catégories de travailleurs sont plus exposées, cette problématique reste généralisée à l’ensemble des secteurs et des modes de travail. Dans le commerce (53%), les services (51%) et l’administration (61%), plus d’un actif sur deux se dit gêné par le bruit. Seul le bureau
individuel fermé réduit significativement la gêne (42%). Cette sensibilité au bruit ne dépend pas de l’âge : 56% des actifs de moins de 35 ans se disent gênés, la proportion étant identique chez les 35 ans et plus.
Ces résultats confirment que le bruit n’est plus uniquement lié à des environnements industriels ou manuels : il devient une composante de nombreux espaces de travail contemporains. La multiplication des interactions, l’ouverture des bureaux et la densité des échanges numériques contribuent à une intensification sonore diffuse, y compris dans les métiers tertiaires ou lorsque le lieu de travail est le domicile.
73% des salariés ressentent les effets du bruit, mais beaucoup continuent de le banaliser
Ce bruit a des conséquences relationnelles et communicationnelles au travail : les travailleurs évoquent des incompréhensions avec les encadrants (44%, -4pts), de l’agressivité dans les échanges (41%, -1pt), des tensions ou des conflits au sein de l’équipe (41%, -2pts), ou encore des comportements de repli sur soi (38%, -3pts). La tendance est sensiblement à la baisse, revenant à son niveau pré-Covid, en 2021. Au total, 58% des actifs en poste estiment que le bruit et les nuisances sonores sur leur lieu de travail peuvent être à l’origine d’au moins
un de ces phénomènes. Cette proportion atteint 71% chez les personnes qui se disent gênées par le bruit au travail.
Près des trois quarts des actifs occupés témoignent de l’impact négatif du bruit et des nuisances sonores sur leur santé (73%, stable). Pour une personne sur deux, ces répercussions sont de nature auditive (52%, +3pts). Sans surprise, 91% des personnes concernées par une gêne auditive déclarent des répercussions, dont 67% sur leur santé auditive.
Pourtant, même parmi ceux qui ne se sentent pas gênés par le bruit, les nuisances sonores ont un impact: 50% identifient des conséquences de ce bruit, et 33% des conséquences sur leur santé auditive. On observe ainsi une déconnexion entre la perception du bruit, souvent banalisée, et ses effets réels sur la santé.
Certaines catégories de travailleurs semblent plus exposées : les ouvriers (59%), les salariés de l’industrie (61%) et les personnes aux revenus les plus modestes (moins de 900 € par personne au foyer, 64%). Les télétravailleurs apparaissent davantage concernés (62%).
Trois symptômes touchent plus d’un actif occupé sur deux : la fatigue, la lassitude et l’irritabilité (59%, +1pt vs 2024), les difficultés de concentration (56%), le stress (50%, stable). Certaines catégories de travailleurs se distinguent par une fragilité à certains symptômes :
Les femmes sont davantage impactées par au moins une des répercussions mentionnées (77%), notamment la fatigue, la lassitude et l’irritabilité (64%) et les difficultés de concentration (60%).
Les ouvriers apparaissent particulièrement exposés aux problématiques de santé auditive: 44% disent souffrir d’acouphènes et 38% de surdité. A l’inverse, les difficultés de concentration les touchent moins (48%).
Les personnes aux revenus faibles : 64% rapportent au moins une répercussion auditive. Dans le détail, il peut s’agir d’acouphènes (45%), de surdité (41%), d’hypertension artérielle (35%) ou de troubles du sommeil (45%).
Les plus diplômés : 82% témoignent des conséquences négatives du bruit, plutôt sur des dimensions psycho-cognitives: comme la perte de concentration (66%), le stress (58%) ou la fatigue, la lassitude ou l’irritabilité (67%). Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : un mode de travail plus exigeant cognitivement, une sensibilité accrue à l’environnement sonore ou une plus grande conscience de ces problématiques. À l’inverse, 57% des répondants sans diplôme, titulaires d’un CEP ou d’un BEPC indiquent être touchés par des répercussions.
Malgré la gêne, seul un quart des actifs agissent
Alors que 56% des actifs occupés se disent gênés par le bruit et les nuisances sonores au travail – et que 77% d’entre eux en ressentent les effets concrets sur leur santé – le passage à l’action demeure limité. Ce décalage entre conscience et action illustre la difficulté à transformer un inconfort diffus en démarche concrète. Le bruit est souvent perçu comme inhérent au travail, non comme un risque à part entière. 27% ont déjà demandé un équipement de protection individuelle lorsqu’ils sont sur leur site de travail (+2pts), 22% ont réalisé un test auditif (-2pts). 21% ont déjà consulté un médecin (-1pt), et 21% ont déjà demandé un équipement de communication approprié (casque téléphonique, oreillettes …). Ils sont bien moins nombreux à avoir demandé à être affectés sur un autre espace de travail (11%), ou à avoir sollicité un arrêt de travail (8%, -1pt).
Certaines populations se montrent plus proactives : Les moins de 35 ans : 38% ont demandé ou envisagent d’être affectés sur un autre lieu de travail (vs 30% en moyenne) et 33% ont sollicité ou envisagent un arrêt de travail (vs 23% en moyenne). À l’inverse, les 50 ans et plus apparaissent plus passifs, voire résignés : seuls 23% ont demandé un changement de lieu de travail et 15% un arrêt. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : une forme de résignation face à une gêne considérée comme inévitable, une banalisation du bruit dans l’environnement professionnel ou encore la difficulté à relier les nuisances sonores à des problématiques auditives, traditionnellement associées à l’âge.
Les ouvriers : 52% ont demandé un équipement de protection individuelle contre le bruit lorsqu’ils sont sur site (casque anti-bruit, bouchon…). 52% ont déjà passé ou envisagent de passer un test auditif.
Dans l’industrie et le BTP, l’équipement de protection individuelle est plus démocratisé (respectivement 57% et 48% l’ont demandé). Ces résultats pourraient s’expliquer par une culture de prévention plus installée dans ces secteurs. Les actifs aux revenus les plus modestes: 61% ont demandé ou envisagent de demander un équipement de protection individuelle contre le bruit lorsqu’ils sont sur site (casque anti-bruit, bouchon…). 38% ont (ou envisagent) de solliciter un arrêt médical.
Les catégories les plus aisées sont moins proactives en revanche. A peine 28% ont demandé ou envisagent de demander un équipement de protection individuelle contre le bruit lorsqu’ils sont sur site (casque anti-bruit, bouchon…). 26% ont consulté un médecin ou l’envisagent et 28% ont réalisé un test auditif ou l’envisagent.
En termes d’organisation du travail, les télétravailleurs entreprennent davantage de démarches, alors que les travailleurs sur site sont plus réticents. Les travailleurs en contact direct avec des usagers initient moins de démarches, mais peut-être parce que c’est plus
complexe pour eux et que le bruit est normalisé.
Les personnes concernées par des acouphènes ou des surdités sont plus nombreuses à avoir entamé des démarches, ou envisagent de le faire. Cependant, elles sont à peine plus d’un tiers à avoir déjà réalisé un test auditif (respectivement 35% et 36%), et aussi nombreuses à
ne pas l’envisager (respectivement 37% et 35%).
Un employeur sur deux seulement agit contre le bruit
Un peu plus de la moitié des actifs occupés déclarent que leur employeur leur a proposé au moins une solution face aux nuisances sonores (51%, –2 pts).
Les efforts se concentrent sur les équipements adaptés : 30% déclarent s’être vu proposer un équipement de protection individuelle contre le bruit, 28% des casques de communication spécifiques (–1 pt). 23% des actifs occupés indiquent que les espaces de travail ont été pensés pour réduire le bruit et les nuisances sonores, via la création d’espaces pour s’isoler, ou le réaménagement d’espaces existants (stable).
Enfin, 19% des répondants indiquent que leur employeur leur a proposé des sessions d’information et de sensibilisation (-2pts), et 20% des dépistages de l’audition (stable). Ces résultats suggèrent que la santé auditive reste peu intégrée dans les démarches globales de qualité de vie au travail. La prévention repose principalement sur des équipements individuels, alors que les sources de bruit relèvent souvent de l’organisation des espaces, des flux ou de la communication interne. Ce décalage traduit une approche encore partielle de la prévention sonore.
On observe un angle mort dans la prise en compte du bruit par les employeurs, concernant particulièrement les professions intermédiaires et les employés. Les organismes employant des cadres et professions intellectuelles supérieures (58%) ou des ouvriers (62%) se montrent plus proactives que la moyenne (51%), tandis que les professions intermédiaires restent moins accompagnées (45%).Dans l’industrie, 75% des travailleurs indiquent que leur organisation leur propose au moins une solution pour faire face aux nuisances sonores, contre seulement 40% dans l’administration. Dans le même sens, les actifs en contact direct avec des usagers apparaissent particulièrement démunis (30%).
Source : 9e Baromètre Bruit & Santé Auditive au Travail 2025 - Association nationale de l'audition.