Skip to main content

Un quart de siècle d’action collective contre les nuisances sonores industrielles

Autour du site sidérurgique de Dunkerque, la cohabitation entre industries et population n’est pas sans soulever de sérieux problèmes de voisinage. Marie-Paule Hocquet-Duval, présidente d’une association locale de défense des riverains du site industriel, nous livre une histoire résumée de vingt-cinq ans d’action collective et de concertation autour de la problématique des nuisances sonores industrielles.

A partir du début du XXe siècle, la région dunkerquoise (Nord) a été choisie pour implanter la « sidérurgie sur l’eau » : des usines sidérurgiques qui utilisaient des matières premières importées par voie maritime. Progressivement, ce site dunaire remarquable, qui s’étend sur une vingtaine de kilomètres de la frontière belge jusqu’au Pas-de-Calais, s’est transformé en une impressionnante plateforme industrielle et portuaire. A la sidérurgie, se sont ajoutées la pétrochimie, une centrale nucléaire… pour totaliser aujourd’hui pas moins de 900 entreprises industrielles, dont 13 sites Seveso déclarés. Ce tissu industriel dense, qui emploie 29 000 personnes, est entouré d’une forte densité de population : les 18 communes qui composent la Communauté urbaine de Dunkerque-Grand-Littoral totalisent 218 000 habitants, pour une superficie de 25478 hectares, soit plus de 850 habitants au km2.

Une cohabitation entre industries et population qui n’est pas sans soulever de sérieux problèmes de voisinage. Face au développement industriel intense dans le Dunkerquois, et la disparition progressive de leur environnement naturel, un certain nombre d’habitants de la région se sont regroupés en associations et ont mené des actions. Marie-Paule Hocquet-Duval, présidente de l’Union locale Flandre Maritime de l’association pour la Consommation, le Logement et le Cadre de Vie (CLCV), une association d’habitants bénévoles qui défend les intérêts des habitants du Dunkerquois pour toutes les questions relevant de la vie quotidienne et du cadre de vie, nous livre ici une histoire résumée de l’action associative menée dans la région contre les bruits industriels. Réduction des bruits du trafic de la gare de triage de Grande-Synthe, installation par Arcelor d’un silencieux sur une tuyère très bruyante, mise en place de capteurs sonores dans le périmètre le plus concerné par l’ensemble des bruits industriels… chaque amélioration a été obtenue de haute lutte, grâce à l’action collective. Ce récit pourra certainement inspirer d’autres riverains de sites industriels souhaitant défendre leur droit à un environnement sonore de qualité.

Des riverains, des plaintes, des associations, des industriels montrés du doigt

Dès 1974, cinq associations de défense du littoral dunkerquois, dont la CLCV, jugeant que leurs efforts étaient par trop dispersés, ont décidé de se regrouper et de créer l’Adelfa (Assemblée pour la Défense de l'Environnement du Littoral Flandre-Artois). L’une des difficultés tenait notamment au fait que ces associations représentaient les intérêts d’un territoire situé à cheval sur deux départements différents. L’Union locale Flandre Maritime de la CLCV est toujours membre de l’Adelfa, qui fédère aujourd’hui une trentaine d’associations. Ainsi rassemblées, ces associations défendant des préoccupations communes ont pu donner plus de poids à leurs actions. Deux ans plus tard, la création d’un réseau de surveillance de la qualité de l'air concrétisait la volonté commune des élus, industriels, administrations et associations de la région de se doter d’instances de concertation et de transparence afin de mieux intégrer l'industrie dans son environnement.

Le SPPPI : un moyen de se connaître et de se comprendre

En 1990, un Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI), structure locale de concertation et d'information couvrant l'ensemble des domaines touchant à l'environnement industriel (air, eau, risques, déchets, nouveaux projets), voit le jour. Il sera par la suite étendu à l'ensemble du littoral du 59 et du 62, prenant le nom de SPPPI Côte d’Opale-Flandre. Participant d’une démarche volontaire d’information et de concertation reconnue, le SPPPI (S3PI en abrégé) réunit l'ensemble des acteurs locaux (services de l'Etat, collectivités locales, industriels, associations pour la protection de l'environnement, médias, experts,...) ayant un intérêt commun pour les questions d'environnement industriel. Seulement onze de ces structures de concertation, chacune correspondant à des bassins industriels conséquents, existent en France.

En 1998, de nombreuses plaintes concernant le bruit lié aux activités industrielles sont comptabilisées, les habitants des communes riveraines de Fort-Mardyck, Grande-Synthe, Petite-Synthe et Saint-Pol-sur-Mer se disant réveillés la nuit par la mise en route intempestive de torchères, de ventilateurs, par la chute de pièces métalliques. Il est alors décidé de créer une commission technique thématique « Air, odeurs et bruit » est créée au sein du S3PI. Traitant principalement des problématiques d'environnement industriel liées à l'air (polluants dans l'air, odeurs, bruit, aspects santé...), les réunions biannuelles de cette commission sont notamment l’occasion pour les riverains d’attirer l’attention sur des problèmes de nuisances sonores particulièrement sensibles. Pour les entreprises concernées, ces réunions les aident à cibler plus précisément les unités sur lesquelles un effort important doit être consenti pour apporter une amélioration notable de la qualité sonore de l’environnement. Des efforts visibles auprès de la population riveraine sont déployés par les industriels : des études acoustiques ponctuelles sont menées, soit par les industriels individuellement, soit par le S3PI, et des actions d’amélioration sont mises en œuvre. Par exemple, sur le site de GTS Industries, en 1998, on décide de déplacer plus en amont, à l’intérieur des ateliers, le lieu de chargement des tôles dans les camions, réduisant ainsi le bruit occasionné par la « chute des tôles » ; concernant une machine à meuler (d’une cinquantaine de mètres de long !), le capotage de la machine étant techniquement impossible, on mise sur la sensibilisation du personnel (pour garder les portes des ateliers fermées le plus souvent possible) et sur des aménagements d’horaires ; une machine qui cisaille du fer est délocalisée à Petite-Synthe. Autre exemple : à l’usine Europipe, un gain de 6 décibels est obtenu en équipant une machine basculeuse – servant à basculer les tubes et à les choquer pour en faire tomber les restes de soudure ! – d’amortisseurs. A la clé, l'industriel a fait des économies, les amortisseurs évitant de détériorer les tubes ! Sur le site de Sollac Dunkerque, enfin, les mesures de bruit réalisées confirment le respect des valeurs fixées par la réglementation sur les ICPE. Néanmoins, une étude est initiée pour résoudre le problème de résonance acoustique dans la cheminée des ventilateurs.

Malgré des progrès notables, à partir de 2003, on observe une recrudescence des plaintes relatives aux nuisances sonores, notamment auprès des associations de défense de l'environnement. Lors des réunions de la commission « Air, odeurs et bruit », la crispation autour de l’impact sonore du site sidérurgique est manifeste. Certains riverains du site ne pouvaient plus dormir fenêtres ouvertes, notamment en période de canicule. A tel point que, fin 2005, le S3PI décide de créer un groupe de travail chargé de réfléchir à la problématique bruit. Présidé par le maire de Fort-Mardyck, M. Ragazzo, par ailleurs président de la commission « Air, odeurs et bruit » du S3PI, le groupe de travail est constitué de représentants associatifs et de riverains, de représentants des collectivités, des services de l’Etat et des principaux industriels concernés. En parallèle, l’action collective monte en puissance : des rencontres avec les habitants concernés ont lieu, des tracts d'information sont distribués, une pétition rassemblant plusieurs centaines de signatures est diffusée – montrant ainsi qu’il ne s’agit pas d’un problème que seuls quelques excités porteraient à bout de bras –, des informations sont communiquées aux médias (notamment concrétisées, plus tard, par un article dans La Voix du Nord), des interventions sont menées auprès des pouvoirs publics locaux afin de déclencher une prise de conscience des autorités.

Face à une telle mobilisation, une étude sur les nuisances sonores, limitée au complexe sidérurgique, est mise sur pied par le S3PI. Ses objectifs ? Valider la réalité du ressenti des riverains, qualifier et quantifier les niveaux sonores dans les périmètres de l’étude, déterminer l’impact des solutions envisagées ou en cours de réalisation. Une enquête de gêne menée auprès des riverains du site sidérurgique, certes modeste dans le taux de retour – trente réponses seulement – révèle une gêne nocturne dans 100% des cas. Mais sans pour autant que telle ou telle installation soit pointée du doigt. Un bureau d’études dunkerquois, Flandres Analyses, est chargé de réaliser des mesures de bruit : si les niveaux sonores ne dépassent pas les normes en vigueur, en revanche, dans certaines configurations de vent ou de conditions climatiques, ils peuvent présenter un certain caractère de gêne. Notamment, sur les dernières années, une baisse du bruit de fond lié au trafic routier a été constatée, suite notamment à la réduction de la vitesse autorisée, de 90 km/h à 50 km/h, sur l’axe principal desservant la zone la plus proche des usines. Si le bruit de fond ambiant a diminué, le bruit industriel, quant à lui, est resté soutenu, faisant émerger des bruits industriels jusqu'alors masqués. Conclusion de l’étude du S3PI : « la perception, par les riverains, d’une augmentation de niveau est donc tout à fait réelle ». Ce constat effectué, il est donc décidé de progresser selon trois axes : mettre en place des silencieux sur les équipements les plus bruyants, rechercher des processus moins bruyants et étudier la possibilité de mettre en place un observatoire du bruit. Dans la foulée, les industriels concernés engagent des investissements, modifient des plages de fonctionnement de certains appareils, sensibilisent leurs personnels... Symbole de cette mobilisation autour du sujet du bruit, Arcelor décide d'engager des travaux sur une unité particulièrement montrée du doigt comme responsable de nuisances sonores : le ventilateur situé dans la cheminée du refroidissoir de la chaîne d’agglomération. En octobre 2006, un silencieux est installé sur la tuyère bruyante, réduisant ainsi considérablement la gêne occasionnée.

Début 2007, le groupe de travail décide alors la mise en place d’une station de monitoring acoustique pour un mois, à Fort-Mardyck. Il s’agit en outre de tester la faisabilité d’un réseau de stations mesure automatique en continu, situées dans des lieux à définir, et dont les mesures seraient accessibles en direct, sur Internet ou autre. Pour le président de la Commission « Air, odeurs et bruit », la finalité de cette première station de surveillance du bruit n’est autre que « la création d’un observatoire du bruit à l’échelle de la Communauté urbaine de Dunkerque ». C’est en tout cas en ces termes que s’exprime le maire de Fort-Mardyck, début 2007, dans Le Phare dunkerquois :« Désormais, la loi oblige les agglomérations à prendre en compte ce problème de manière plus globale », déclare-il alors, rappelant les nouvelles obligations qui incombent aux collectivités territoriales vis-à-vis de la problématique du bruit, à savoir les cartes de bruit et les plans de prévention du bruit qui doivent être mis en place au titre de l’application de la directive européenne sur l’évaluation et la gestion du bruit dans l’environnement.

Cette idée formulée par l'élu de voir se constituer un observatoire du bruit a fait son chemin puisque, quelques mois plus tard (fin 2007), un réseau de mesure des bruits d’origine industrielle, doté de six capteurs permanents, est mis en place par la société prestataire Sim-Engineering autour du site sidérurgique de Dunkerque-Ouest. Coût de l'investissement : 105 000 euros, financés à près de 50 % par les industries incriminées (Arcelor Mittal, GTS Industrie, Total, etc.), le reste étant pris en charge par la DRIRE, le S3PI et le Conseil régional. Ces stations sont disposées pour suivre préférentiellement les bruits d'origine industrielle, mais à l'avenir, si le réseau devait s'étendre et être pérennisé, il pourrait donner une vision acoustique globale du territoire. Pour l’heure, le site internet Dunkerque Réseau de mesure de bruit permet de suivre en temps réel les niveaux de bruit relevés par les stations de mesure de bruit. Il a été décidé de tester la faisabilité d'un tel réseau pendant une période d'un an, de fin 2007 à fin 2008.

Il est à noter que, lors de la journée technique sur les réseaux de surveillance du bruit organisée par le CIDB le 4 juin dernier, le réseau de mesure mis en place sur l’agglomération de Dunkerque, ainsi que la démarche de concertation avec les riverains, ont fait l'objet d'une présentation par Thierry Dubuis, du SPPPI Côte d’Opale-Flandre. Le diaporama qu'il a présenté à cette occasion est disponible au format pdf.

Le site de Dunkerque Réseau de mesure de bruit : www.dkbel.fr

Contacter la CLCV Grande-Synthe : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Une question sur le bruit ?