Un couple de personnes âgées subissait des nuisances sonores provenant d'une école élémentaire voisine, et avait obtenu une première condamnation de la ville devant le Tribunal administratif. La commune avait fait appel. Par son arrêt, la Cour a confirmé la responsabilité de la commune et l’a enjointe à effectuer une partie des travaux préconisés par l’expert judiciaire. Découvrez l'analyse de la décision de la Cour d'appel de Paris du 10 décembre 2024 par l'avocat Maître Christophe Sanson.
Sonore, la récré !
Un couple, propriétaire d’une maison de deux étages à Paris, subissait des nuisances sonores du fait des travaux de destruction et de construction qui avaient lieux sur le terrain jouxtant le sien dans le cadre d’un projet de réalisation d’une école élémentaire. En 2010, ces travaux avaient pris fin et les nuisances sonores générées par le chantier avaient laissé place à des nuisances sonores dues au fonctionnement de l’école. Ces nuisances prenaient la forme de bruits aériens correspondant aux voix et cris des enfants durant les périodes de récréation. L’intensité des nuisances était telle, que le couple propriétaire voisin de l’école ne pouvait plus jouir normalement de son bien.
Face à ces nuisances sonores, les victimes avaient engagé une première procédure à l’encontre de la Ville de Paris afin qu’elle soit contrainte de réaliser les travaux nécessaires pour faire cesser les nuisances sonores et qu’elle les indemnise du préjudice qu’elles subissaient depuis le début des travaux de cette école. Au cours de cette procédure, une expertise judiciaire avait été ordonnée permettant d’objectiver l’importance des nuisances sonores subies grâce aux mesurages réalisés par un acousticien. Ainsi, en 2014, l’expert avait pu calculer une émergence (différence entre le bruit ambiant comprenant le bruit particulier et le bruit résiduel enregistrée en l’absence du bruit particulier), dans le bureau de la maison, fenêtres fermées, durant une récréation, dépassant de plus de 20 dB(A) les seuils réglementairement tolérés.
Logiquement, les calculs démontraient une situation pire encore lorsque les fenêtres étaient ouvertes, ainsi l’expert avait pu calculer une émergence dépassant, sur les fréquences les plus aiguës, les seuils d’émergence tolérés de plus de 50 dB, ce qui correspond à une situation à la fois intolérable et exceptionnelle.
Au terme de cette première procédure, le couple propriétaire avait obtenu la condamnation de la Ville de Paris au paiement de la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice de jouissance qu’il avait subi du fait des travaux de construction de l’école et du fait de son fonctionnement depuis son achèvement. Cette première décision était devenue définitive après un arrêt de la Cour d’appel du 26 mars 2019 ayant ramené l’indemnisation du préjudice à la somme de 16 000 euros.
Des travaux nécessaires pour faire cesser le bruit
En octobre 2020, constatant la persistance des nuisances sonores, les victimes avaient adressé à la Ville de Paris une demande préalable tendant à être indemnisés pour les nuisances sonores qu’elles continuaient de subir. Elles demandaient également le remboursement des travaux d’isolation et de ventilation qu’elles avaient effectué et la réalisation, par la Ville de Paris, des travaux préconisés par l’expert judiciaire.
De nouveau confronté au refus de la commune, le couple de propriétaires avait saisi une nouvelle fois le Tribunal administratif aux fins de voir annuler la décision de refus de la Ville de Paris et que celle-ci soit enjointe à réaliser les travaux, condamnée au remboursement des aménagements que les époux avaient été contraints de réaliser chez eux pour une somme de 194 626 euros et condamnée à indemniser le préjudice subi depuis le prononcé du premier jugement.
Le Tribunal administratif de Paris avait, par son jugement du 30 juin 2023, condamné la Ville de Paris à verser aux victimes la somme de 12 000 euros, avec intérêts au taux légal, en réparation de leur préjudice et avait également enjoint à la Commune de réaliser tout ou partie des travaux préconisés par l’expert judiciaire dans un délai d’un an. La Ville de Paris a interjeté appel de ce jugement.
Rehaussement de mur et panneaux acoustiques absorbants
La Cour administrative d’appel de Paris a finalement enjoint à la Ville de Paris de faire effectuer des travaux de rehaussement du mur de la cour de récréation dans un délai de 6 mois. Pour le reste des travaux préconisés par l’expert, notamment la pose de panneaux acoustiques absorbants, la Cour d’appel a laissé le choix à la Ville de Paris entre effectuer les travaux préconisés ou payer la somme de 11 000 euros au titre de la réparation du préjudice subi.
Enfin, elle a condamné la Ville de Paris à verser 2 500 euros aux victimes au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative en remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens (frais d’avocat).
Dans une autre affaire de 2013, malgré des mesures acoustiques mettant en évidence un dépassement d'émergence, le Tribunal administratif avait considéré que deux récréations quotidiennes de 20 minutes ne suffisaient pas à prouver un accroissement des nuisances sonores (Cour administrative d'appel de Lyon, 17 janvier 2013, n°12LY00984).
Bruit de la cour d'école : de la responsabilité de la commune
Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris est intéressant à trois égards au moins. Tout d’abord, d’un point de vue procédural, cet arrêt rappelle que la demande indemnitaire à l’encontre d’un établissement public, portée devant le tribunal administratif, est recevable dès lors qu’elle a été précédée d’une demande préalable adressée à l’Administration et que la période indemnisable n’a pas déjà fait l’objet d’une décision.
Il permet également de réaffirmer la responsabilité sans faute d’une personne publique eu égard aux troubles causés par les ouvrages publics dont elle a la garde. A ce propos, elle précise aussi qu’une expertise judicaire effectuée à l’occasion d’une première procédure peut permettre de démontrer la persistance des nuisances sonores au cours d’une seconde procédure, lorsque la personne publique n’a pris aucune disposition entre temps. Enfin, le présent arrêt éclaire sur la faculté du juge administratif d’enjoindre à une personne publique d’effectuer des travaux.
Découvrez la suite dans la fiche n°65 réalisée par Maître Christophe Sanson.
Sources :
- Fiche n°65 (format PDF) ;
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Cour administrative d’appel de PARIS, 10 décembre 2024, req. n° 23PA03885.
Auteur :
Christophe SANSON
Avocat Associé - SELARL AVOCAT BRUIT
Barreau des Hauts-de-Seine
Docteur en Droit (HDR)
Maître de Conférences
http://www.christophe-sanson-avocat.fr
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