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Dépréciation immobilière et impacts territoriaux du bruit des avions : le cas du pourtour de l’aéroport d’Orly

Cette synthèse a été revue et amendée par G. Faburel.

Malgré une forte attente de la part du grand public d’informations sur la contribution du bruit à d’éventuelles décotes immobilières, peu d’efforts de recherche ont été consacrés en France à cette problématique socio-spatiale. Prolongeant les travaux engagés depuis plusieurs années par les auteurs sur Orly et Roissy, ce travail se concentre sur l’effet du bruit des avions sur l’immobilier, ses dynamiques et l’évolution sociale des communes exposées dans le Val-de-Marne.

Cette étude se fixe tout d’abord pour objectif d’évaluer les décotes immobilières aux alentours de l’aéroport d’Orly. Dans un deuxième temps, elle tente de relier les chiffrages produits aux territoires dont ils sont tirés. Ceci dans un double objectif : mettre en lumière les dynamiques à l’œuvre – polarisation sociale ? –, mais aussi en nourrissant le débat, par exemple en considérant ces dynamiques comme des enjeux et leviers potentiels d’action publique.

Analyse économétrique du prix des logements à proximité de l’aéroport d’Orly

L’approche dite hédonique est le procédé d’évaluation économique le plus utilisé actuellement à l’étranger pour mesurer les décotes immobilières. Elle consiste à repérer et quantifier l’influence de chacun des facteurs contributifs du prix d’un logement, qu’il s’agisse des caractéristiques propres du logement (nombre de pièces, étage, garage, jardin…) ou de facteurs publics propres à son environnement (proximité de moyens de transport, sécurité du quartier, qualité de l’environnement…).

La disponibilité depuis peu en France d’informations fiables sur les actes de vente, donc sur les valeurs de mutation, a permis de renseigner les prix des logements et certains facteurs participant de l’explication de ces prix. Outre les prix de vente réels de tous les logements ayant fait l’objet d’une mutation, la base de données utilisée fournit la localisation du bien immobilier (nom de la rue et côté d’implantation dans la rue) et certains éléments concernant le type de logement et le profil social des acquéreurs/vendeurs.

Les huit communes du Val-de-Marne étudiées sont : Ablon-sur-Seine, Boissy-Saint-Léger, Limeil-Brévannes, Marolles, Sucy-en-Brie, Valenton, Villeneuve-le-roi et Villeneuve-Saint-Georges. Les données acoustiques sont, elles, issues d’un diagnostic réalisé par le bureau d’études Béture en 1995. Les mesures en Lmax (niveau de pression acoustique maximal) de cette étude ont été jugées pertinentes dans la mesure où les huit communes à dominante résidentielle étudiées sont suffisamment exposées au bruit des avions pour qu’il y ait émergence par rapport au bruit urbain ambiant. Pour ne pas attribuer au bruit toute la responsabilité de la décote immobilière – le bruit n’est pas le seul responsable de la dégradation du cadre de vie –, les autres facteurs d’environnement et les contextes territoriaux ont été renseignés le plus finement possible.

La période d’observation considérée, 1995-2003, est postérieure à l’entrée en application du plafonnement à 250 000 créneaux horaires annuels, ce qui rend cette période relativement stable en niveaux de bruit. Les sites de multi exposition sonore ont été exclus de l’échantillon (voies entières issues du classement sonore des infrastructures de transport terrestre fourni par la DDE). Enfin, afin de disposer de situations sonores suffisamment contrastées, seules ont été retenues les voies situées au centre des zones sonores définies par les courbes isophoniques. L’analyse économétrique a porté sur 688 observations, ainsi sélectionnées.

Dépréciation immobilière dans les trois communes les plus exposées au bruit

Une dévalorisation immobilière pour cause de bruit des avions a été constatée dans trois communes du Val-de-Marne fortement exposées : Villeneuve-le-Roi, Villeneuve-Saint-Georges et Valenton : elle est de 0,96 % du prix du logement par décibel de différence (Lmax) entre ces trois communes et la commune témoin. Cette estimation correspond à une hypothèse basse, Boissy-Saint-Léger, la commune de référence considérée comme la plus épargnée des 8 communes de l’étude, n’étant pas totalement évitée par les avions. La décote est estimée à 4,4% (soit 4 335 euros par logement) à Valenton, 5,5% (5 229 euros par logement) à Villeneuve-le-Roi et 6,5% (5 132 euros par logement) à Villeneuve-Saint-Georges. L’hypothèse haute (commune témoin totalement exempte de bruit aéronautique) correspondrait, selon les auteurs, à une décote de l’ordre de 10 %. Ces valeurs, en outre conformes aux résultats de la littérature sur le sujet, indiquent qu’Orly semble logé à la même enseigne que les autres aéroports à l’étranger : le bruit des avions déprécie la valeur des logements.

Polarisation sociale progressive du territoire

Parmi les communes étudiées, celles les plus exposées aux nuisances sonores dues à l’aéroport sont non seulement affectées par une dévalorisation immobilière mais sont aussi le siège d’une polarisation sociale : la proportion de « cadres et professions intellectuelles supérieures » y est en baisse, tandis que les catégories socioprofessionnelles des « employés » et « ouvriers » y sont en hausse, des tendances qui vont en sens contraire des statistiques à l’échelle du Val-de-Marne. En outre, un rajeunissement de ces mêmes populations semble s’amorcer, phénomène à rapprocher de celui observé dans certaines communes fortement exposées au bruit des avions de Roissy-CDG (départ des populations ayant les ressources budgétaires nécessaires pour envisager une mutation ascendante, arrivée de jeunes couples primo-accédants, venant du locatif aidé et disposant de peu de moyens). Ce constat découle d’une analyse descriptive basée à la fois sur le profil social des acquéreurs et vendeurs, et sur les informations des 3 derniers recensements de la population (INSEE, RGP).

Recommandations

Le taux de dépréciation augmente sur la période considérée, alors que l’exposition sonore des territoires observés reste stable, voire même diminue. Cette relation entre sensibilité accrue des populations riveraines et prix du marché immobilier constitue, pour l’auteur, une nouvelle preuve de la nécessité de dépasser la seule lecture acoustique des phénomènes sonores. Ces résultats incitent les auteurs à suggérer aux donneurs d’ordre de tenir compte du ressenti et du vécu du bruit dans l’investigation et la compréhension des évolutions territoriales et, surtout, dans la formulation d’actions plus en phase avec les réalités vécues au sein des territoires.

La tendance à la ségrégation sociale constatée dans au moins trois communes, associée au fait que les ménages achetant à moindre coût pourraient perdre encore plus d’argent au moment de la revente, amène les auteurs à souligner les bienfaits d’une réflexion fondée sur la mise en œuvre de compensations territoriales. Puisqu’il ressort de ce travail que c’est davantage le ressenti et son appréhension que la seule charge acoustique qui fondent à ce jour la décote immobilière, on peut imaginer que la couverture médiatique, l’élévation des exigences environnementales, et d’autres raisons propres à la polarisation sociale, telles que par exemple la baisse de qualité des services urbains, puissent perpétuer, voire amplifier, la dévalorisation constatée.

Au delà des efforts récemment fournis en matière de compensation – tels que l’offre d’emplois aéroportuaires et la formation à ces métiers, ou l’accessibilité pour le personnel des plateformes –, au delà de la seule extension des périmètres d’insonorisation, insonorisation qui est loin de régler le problème de la gêne sonore, les auteurs proposent d’envisager la compensation comme un véritable levier d’action.
Au nombre des recommandations figurent :
- amélioration substantielle de l’offre de services (administratifs, commerciaux, desserte locale) et de la qualité de l’environnement urbain ;
- réhabilitation et revitalisation de certains tissus résidentiels par l’assouplissement des règles d’affectation foncière et immobilière fixées par le PEB (à l’instar de l’esprit de mixité sociale inhérent à la loi SRU) ;
- exonération de fiscalité locale pour certaines catégories de ménages, compensée, pour les communes, par des fonds dédiés (alimentés par une hausse de la taxation bruit pesant sur les mouvements) ;
- création d’un fonds pour couvrir la perte de valeur vénale des logements de certaines catégories de population, sur le principe de réflexions récentes menées par les économistes sur les moyens de remédier, ou au moins de limiter, les processus de ségrégation sociale.

Mobiliser les sciences humaines et sociales pour mieux comprendre les dynamiques territoriales

Pour G. Faburel, si la proximité aéroportuaire peut être considérée comme une variable déterminante, capable notamment de déclencher la paupérisation des espaces, elle ne saurait expliquer la totalité des phénomènes mis en jeu. Création des communautés aéroportuaires oblige, l’heure est au montage concerté de projets territoriaux sur fonds mutualisés. Mais, pour que cette démarche œuvre dans le sens de la prévention, le vécu local, les pratiques sociales et les dynamiques territoriales doivent être renseignés avec précision et pris en compte dans les réflexions. De tels arbitrages compensatoires doivent trouver leur légitimité dans des systèmes et structures de production de connaissances, avec pour première étape la création d’un observatoire des valeurs immobilières (en préparation à l’échelle régionale).

L’association d’enquêtes par questionnaire aux modèles économétriques permettrait d’éclairer les processus de décision des ménages. Des hiérarchies très contrastées pourraient apparaître : par exemple, d’un côté, des résidents anciens, attachés à leur commune et manifestant une forte sensibilité au bruit ; de l’autre, de nouveaux arrivants, dont les choix résidentiels – à distinguer du vécu des occupants une fois installés dans les locaux – peuvent traduire à ce stade une moindre sensibilité au bruit. Faire de la gêne l’épicentre de la mesure et de l’application des méthodes, apporter l’éclairage précieux de disciplines telles que la géographie, l’urbanisme, la sociologie urbaine ou les sciences politiques (comme c’est le cas en Suisse ou aux USA), voilà pour G. Faburel, I. Maleyre Frédéric Peixoto les clés de l’aide à la décision en matière de gestion du bruit autour des aéroports.Dépréciation immobilière et ségrégation sociale pour cause de bruit des avions - Mesure économétrique et analyse territoriale dans huit communes proches de l’aéroport d’Orly - Guillaume Faburel, Isabelle Maleyre et Frédéric Peixoto – Centre de recherche sur l’espace, les transports, l’environnement et les institutions locales – Institut d’urbanisme de Paris – Université de Paris XII - Octobre 2004 – 59 pages

Une question sur le bruit ?